4 avril 2019 – Shanghai
Cela fait des mois que j’essaie, encore, encore et toujours de mettre des mots sur cette ville. Des mois et des mois que ça dure, que mes doigts s’y agitent. Des mois qu’ils pianotent encore et encore sans que rien n’en ressorte. Rien qu’un amas inconsistant de voyelles et consonnes dissonantes, inélégantes, fatigantes — pour l’œil, l’oreille et l’esprit.
Où s’en est-elle donc allée cette faculté d’écrire sans presque réfléchir : celle d’allonger songeur les douceurs intestines ? Serait-elle disparue, évaporée, emportée ? Et que reste-t-il alors, de ce qui m’avait construit : de ce qu’on me disait être ? De l’or de ces mots protecteurs qui dénotent un poète ? De la perte de l’esprit enchanteur, qui faut-il blâmer ? Y a-t-il faute à chercher ?
C’est la ville. Toujours elle et son immensité envoutante. Elle qui m’absorbe tant et me tente, me prend l’esprit. Pris entre mille tours, je présumais qu’il s’évaderait dans les mots ou dans mes mains et mes stylos. Mais rien, non rien, je n’en retire. Je commence ainsi dans la marge : « La ville au changement infini, à l’heure ou s’avance la nuit, s’ouvre comme écartelée sur ses 8-voies désertées. » et puis je sèche, ne sachant plus quoi dire.
Je revois mes souvenirs et réalise l’important brouillard qui entoure cet espace. Dès que je dépose un mot sur une rue traversée, j’entrevois son antonyme décrivant la suivante. Je vois la tour au sommet nuageux, puis la cabane minuscule. L’homme pressé derrière sa vitre teintée, l’autre homme pressé sur son tricycle éreinté. J’y vois la vie, le bonheur, la confusion, la mort. L’arbre et la cigale, le sac plastique qui vole. La journée bleue, les fleurs blanches, le brouillard lourd cachant les branches. L’étranger, le local, le local étranger, le local délocalisé, le nouveau local, et le local ancien assis impassible sur trois pieds deux jambes et une canne.
Si je ne parviens pas à l’écrire, cet environnement multiforme qui m’entoure et me forge, c’est que tous les mots appartiennent à Shanghai. Sauf peut-être un qui me manque : 大自然 / nature.
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